• L'histoire de la rhétorique

    La rhétorique vise à persuader un auditoire sur les sujets les plus divers. Elle a progressivement laissé place à un art de bien dire plutôt qu’un art de persuader, se restreignant à un inventaire de figures relevant des ornements du discours, voici son histoire...

    L'histoire de la rhétorique

    Démosthène s'exerçant à la parole, toile de Jean-Jules-Antoine Lecomte du Nouy(1842-1923).

    La rhétorique naît en Sicile, vers 465 avant JC. Selon une légende, Hiéron, tyran de Syracuse, aurait interdit à ses sujets l'usage de la parole. Pour les défendre, Corax, disciple du philosophe Empédocle, publie un art oratoire (technè rhétorikè), recueil de préceptes pratiques à l'usage des justiciables désirant récupérer les terres qui leur avaient été subtilisées. Il enseignera, en compagnie de son élève Tisias, la rhétorique, à partir de 460. On prend alors conscience que le langage n'est pas seulement "langue", mais aussi "discours".

    Les premiers rhéteurs se targuent de transformer l'argument le plus faible en le plus fort. Le "corax" consiste donc à dire qu'une chose est invraisemblable parce que, justement, elle est trop vraisemblable. Cette notion de vraisemblable est au coeur de la rhétorique. Seul le vraisemblable, l'opinion, le bon sens, peut être mis en cause. La vérité ne se discute pas.

    Protagoras (486-410), à Athènes, apporte la dialectique : il affirme que n'importe quel sujet peut être traité selon deux thèses opposées.

     

    Démocrite (au centre) et Protagoras (à droite) de Salvator Rosa

     

    Vers 427 avant JC, en Grèce, Gorgias (485-374) introduit la source esthétique et littéraire. La prose, jusqu'alors purement fonctionnelle, est enrichie par les figures et rejoint la poésie. Ainsi apparaissent les figures de mots (assonances, rimes, paronomases, rythme de la phrase, le parallélisme de membres de phrase) et les figures de pensée et de sens (périphrases, métaphores, antithèses, assonances).

    La rhétorique est ensuite assimilée par les sophistes. Le discours et l'éloquence donnent le pouvoir par la parole. Platon (428-347) les condamne pour leur mépris de la vérité et de la justice, et s'oriente vers l'enseignement philosophique.

     

    Platon Athènes

     

    L'humaniste Isocrate (436-338), professeur d'éloquence, affranchit la rhétorique de son appartenance sophistique. Elle répond alors à divers besoins des Grecs : besoin de technique judiciaire, besoin d'une prose littéraire, besoin de philosophie, besoin d'enseignement. Selon lui, pour devenir orateur, il faut réunir trois conditions : des aptitudes naturelles, une pratique constante, un enseignement systématique. Il crée une prose sobre, claire, précise, exempte de termes rares, de néologismes, de métaphores brillantes, de rythmes marqués, mais subtilement belle et profondément harmonieuse, ne comportant pas de répétitions disgracieuses de syllabes ni de hiatus. Pour lui, enseignement littéraire et formation morale sont liés. La rhétorique, telle qu'il l'enseigne, apprend à  se donner un but, puis à chercher tous les moyens de l'atteindre sans rien laisser au hasard. En apprenant à régler son discours, on apprend aussi à régler sa vie. L'enseignement littéraire est une école de style, de pensée et de vie. Tout ce que nous sommes, c'est au langage que nous le devons.

     

    Platon (à gauche) et Aristote (à droite). Aristote pointe le sol par le plat de sa main droite, ce qui symbolise sa croyance dans la connaissance par le biais de l'observation empirique et de l'expérience tout en tenant, dans l'autre main, une copie de son Éthique à Nicomaque. Platon pointe le doigt vers le ciel symbolisant sa croyance dans les idées (détail de la fresque L'École d'Athènes du peintre italien Raphaël).

     

    Plus tard entre en jeu l'éristique des sophistes, puis la dialectique, en tant que joutes orales. Aristote, cependant, recentrera toutes les composantes de la rhétorique, la clarifiera, la complétera, en la situant entre la dialectique et la politique, mais la reliant à la poétique.

    Cicéron (106-43), un des plus grands orateurs romains et homme politique, a rédigé de nombreux ouvrages traitant de la rhétorique.

    Au premier siècle, à Rome, Quintilien (30-98), Sénèque, puis Tacite (55-120), perpétuent la pensée cicéronienne.

    Chez les chrétiens, le trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) - accompagné du quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie, musique) - devient le fondement de la culture occidentale du Vème eu VIIIème siècle, et l'art du discours (ars dicendi) en est la pièce maîtresse : l'orateur doit savoir "instruire, charmer, et convaincre", disait Saint-Augustin.

     

    Les sept arts, vitrail de la cathédrale de Laon, transept nord. Le Quadrivium musique, géométrie, arithmétique et astronomie et le Trivium rhétorique, grammaire et dialectique

     

    Après avoir été largement enseignée dans l'antiquité gréco-romaine, puis à la Renaissance (traités de Gibert, de Crevier, suivis plus tard par Dumarsais et Fontanier), la rhétorique sera remplacée par le cartésianisme et le rationalisme scientifique. Entre temps, au moyen-âge, elle est devenue une matière théorique, détachée du réel, enseignée dans les monastères.

     

     

    Au 17ème et 18ème siècle, la rhétorique est une discipline enseignée dans le cadre des "humanités". Avec la classe de poésie, elle compose un cycle d'études supérieures préparant la classe de philosophie. Elle est alors considérée comme une science du style.

    Puis les parties de la rhétorique vont se séparer pour devenir disciplines à part entière. Ne subsistera, au 19ème siècle, que l'élocution, puis dans un champ plus restreint, la théorie des figures, puis la théorie des tropes, et l'on ne reconnaîtra enfin, au 20ème siècle, et notamment dans le domaine linguistique, que la métaphore et la métonymie (l'image) comme seuls éléments significatifs d'une technique littéraire.

    L'Oulipo (l'Ouvroir de Littérature Potentielle, dont les principaux acteurs ont été Raymond Queneau, Georges Perec, Luc Etienne, François Le Lionnais, Jacques Bens, et même Jean Tardieu, Marcel Duchamp et Italo Calvino), dans les années 60-73, a puisé dans la rhétorique pour ses travaux de recherche sur la production de textes littéraires.

    Depuis 1960 environ, une rhétorique rajeunie, ayant assimilé les découvertes réalisées dans les domaines de la linguistique (avec Roman Jakobson), de la sémiotique, de la stylistique, de l'argumentation, s'affirme à nouveau. Les théoriciens de cette "néorhétorique", définie comme théorie de l'argumentation, se nomment Chaïm Perelman, Tzvetan Todorov, Nicolas Ruwet, Gérard Genette, Lausberg...

     

    Roman Jakobson

     

    Pour en savoir encore plus sur l'histoire de la rhétorique : 

     

    « Les types de discours et leurs intérêt dans la publicitéLes objectifs de la rhétorique »

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 19 Mai 2016 à 11:52

    Bon article

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